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MOUEZH BREIZH, LA VOIX DE LA NATION BRETONNE

Azwan-Kabylie : la nation kabyle colonisée


Rédigé le Dimanche 9 Novembre 2025 à 14:02 | Lu 8 commentaire(s)


In War Raok n°74 - Automne 2025


Paris, Lyon, Montréal. Dans les cafés, les bibliothèques ou sur les réseaux sociaux, des militants kabyles s’activent. Ils s’appellent Thiziri, Idir, Tilelli, Aksel Bellabbaci, Massinissa, Yasmina. Ils écrivent, traduisent, organisent des collectes pour les familles de prisonniers politiques. Ils animent des sites comme Kabyle.com, montent des radios en ligne, créent des groupes pour contourner la censure. Leur terrain, c’est la diaspora et le Net. Leur obsession, c’est la Kabylie. Derrière les écrans, c’est tout un pays qui prend la parole. Un pays que l’État algérien s’acharne à nier, mais qui existe dans chaque mot, chaque bannière, chaque chant kabyle – Tamurt n Yizwawen, le pays kabyle – et même dans une équipe nationale de football qui porte ses couleurs à la CONIFA.
 
Une nation niée
 
La Kabylie n’est pas une « région ». C’est une nation amazighe à part entière. Une société organisée, égalitaire, sans clergé ni khalife, qui vivait selon ses propres assemblées de village (tajmaât).
En 1857, la bataille d’Icheriden marque une insurrection d’ampleur. Les villages brûlent, les terres sont confisquées, des insurgés mutilés et exhibés. Fadhma n’Soumeur, la « Jeanne d’Arc kabyle », est déportée. En 1871, la révolte de Mokrani mobilise plus de 250 tribus. Elle est écrasée à son tour. Des centaines de Kabyles sont envoyés jusqu’en Nouvelle-Calédonie. Comme pour les Juifs, la France prévoyait de les déporter massivement à Madagascar et dans ce jeu macabre ce fut le tour de la reine malgache de s’éteindre à Alger en résidence surveillée.
En 1962, l’indépendance aurait pu être une renaissance. Mais l’armée des frontières confisque la victoire. Ben Bella proclame que l’Algérie est « arabe ». Ce que même le colon français n’avait osé, le nouvel État postcolonial l’impose : une Algérie une et indivisible, arabe et musulmane.
 
Colonisation intérieure
 
La Kabylie n’a pas seulement subi la défaite militaire : elle a aussi été colonisée par l’école. Une école arabisée et islamisée, qui imposait une identité artificielle tout en interdisant la langue maternelle. Le pouvoir central à Alger faisait venir des personnes issues des bas fonds de la société égyptienne pour encadrer les enfants algériens et kabyles, non seulement dans les écoles coraniques mais aussi dans la nouvelle école nationale. Celle-ci fut mise en place par une alliance paradoxale de nationalistes jacobins, dont une majorité de Kabyles compromis, et d’idéologues porteurs de ce projet d’uniformisation.
L'Algérie prétend qu’elle a officialisé Tamazight. Or justement il n’existe pas de « tamazight » unifiée. C’est une idéolangue inventée entre autres par le Haut-Commissariat à l’Amazighité pour brouiller les cartes. En réalité, il existe des langues amazighes : kabyle, chaoui, touareg, chleuh, mozabite. Aussi proches que Polonais et Russes – tous slaves, mais distincts.
La répression complète le dispositif. En 1963, les militants « berbéristes » sont liquidés. En 1980, le Printemps amazigh est écrasé. En 2001, le Printemps noir fait 127 morts : des jeunes Kabyles abattus par la gendarmerie. Aujourd’hui encore, des centaines de prisonniers politiques croupissent dans les geôles.
« Ce n’est pas seulement une affaire de juges et de barreaux, c’est une histoire d’amour. Ceux qu’on enferme sont coupables d’avoir aimé une terre jusqu’à l’épuisement, aimé un peuple comme on serre un enfant fragile, aimé un avenir qu’on leur arrachait ». (Nasser Yanat artiste kabyle).
 
Les prisonniers d’aujourd’hui
 

Leurs noms circulent sur les réseaux : l’universitaire Mira Moknache, séquestrée. Mohand Laskri (Vaxuc de son nom de résistant), condamné à mort et plus de 20 autres personnes dont deux sont déjà morts dans leur cellule. Assalas, un artiste franco-kabyle directeur d’une école de danse à Paris emprisonné à son tour. Kamira Nait Sid présidente du Congrès Mondial Amazigh, figure féminine de la lutte, persécutée et annihilée, que l’on ne reconnaissait plus après ses 2 années de détention. Youcef Aouchiche, militant de terrain. Leur seul crime ? Être kabyles et aimer leur peuple. Chaque arrestation est immédiatement relayée par la diaspora, tandis que Kabyle.com en conserve la trace pour la mémoire collective. Des campagnes de solidarité se lancent en quelques heures. Des vidéos circulent, des pétitions sont signées, des manifestations se tiennent à Paris ou Montréal.
Depuis le lancement du projet « 0 Kabyles », une liste d’une cinquantaine d’opposants politiques circule. Elle inclut des personnes âgées de plus de 80 ans, ainsi que des écrivains et des journalistes. Les opposants au régime sont kidnappés jusqu’en Europe, le cas du journaliste Hicham Aboud. La liste est trop longue à énumérer : l’humanitaire Wafia Tidjani, Slimane Bouhafs le défenseur des droits humanitaires chrétiens livré par le pouvoir islamiste tunisien ou encore Aksel Bellaci menacé d’extradition en France défendu par Maître Goldnadel qui ressort victorieux.
 
Résistances et mémoire
 
La Kabylie ne cède pas. Elle résiste par ses médias, ses artistes, ses militants.
Les médias libres, les artistes : Lounès Matoub, assassiné en 1998, reste une figure tutélaire. « Dans chaque mot de Matoub, il y a une pierre tombale et une étincelle », écrivait un critique. Le chanteur Oulahlou, interdit de scène, bloqué en Algérie chante encore malgré les menaces. Les militants : Aziz Tari et tant d’autres poursuivent le combat au quotidien. La diaspora, active en France et au Canada, organise des colloques, prépare un agenda de lutte, tisse une mémoire collective.
Être kabyle aujourd’hui, c’est un exploit quotidien : persister à parler sa langue, à écrire son histoire, à rester soi malgré l’interdit, la chasse aux identitaires.
 
La Journée de la Nation kabyle le 14 juin
 
La Kabylie s’est toujours pensée comme une nation. Historiquement, elle se nomme tamurt n Yizwawen, le pays des Zouaouas. Depuis 2001, l’Anavad (MAK Mouvement pour l’autodétermination) présidée par Ferhat Mehenni a décrété la Journée de la Nation Kabyle, célébrée chaque 14 juin. Cette date rappelle la grande marche sur Alger du 14 juin 2001, qui incarna l’éveil collectif d’un peuple face à la négation de ses droits fondamentaux. Aujourd’hui, j'ai proposé sur Kabyle.com le mot Azwan pour dire cette réalité ancienne avec un langage neuf : la Kabylie est une nation amazighe, colonisée, qui aspire à sa reconnaissance et à son indépendance.
 
Bretagne–Kabylie : un même combat
 
Cette résistance trouve un écho en Bretagne. Ernest Jouzel, instituteur, écrivait déjà dans Bretagne–Kabylie : à cœur ouvert que les deux peuples partageaient une même douleur et une même espérance : lutter contre le centralisme, préserver leurs langues, transmettre une mémoire.
Du 25 au 26 octobre 2025, Carhaix accueille la Kabylie pour son Festival du Livre en Bretagne. Un geste fort : une petite ville bretonne ouvre ses portes à une grande nation amazighe sans État. Les écrivains kabyles y rencontreront les écrivains bretons. Les deux mémoires dialoguent déjà ensemble. Bretons et Kabyles partagent une expérience : avoir été roulés dans la farine par l’histoire. Les Bretons par le jacobinisme français, les Kabyles par l’arabo-islamisme d’État. Les uns et les autres savent que l’uniformité tue les peuples. Les uns et les autres savent que la langue est le dernier bastion de la liberté.
 
Une libération attendue
 
L’histoire de la Kabylie n’est pas finie. Une nation qui a survécu aux déportations, aux guerres, aux prisons et aux interdits ne peut mourir. Tamurt n Yizwawen existe déjà dans les cœurs et dans les faits. Elle n’attend pas une reconnaissance extérieure pour être réelle. Chaque Kabyle qui persiste à parler sa langue, à chanter ses chansons, à écrire son histoire, est un maillon de cette nation.
La libération de la Kabylie n’est pas une utopie : c’est une attente, une nécessité. L’État algérien le sait mieux que quiconque. Une nation dans la nation, c’est la fin assurée de son modèle autoritaire, fondé sur l’uniformité arabo-musulmane. Les bastions de résistance kabyles doivent se multiplier. Cela passe par l’éducation – transmettre la langue et l’histoire à chaque génération –, par l’activisme numérique qui déjoue la propagande d’État, par la présence sur le terrain dans les villages et les villes, et par les rencontres internationales qui brisent l’isolement. Azwan n’est pas un rêve, mais un processus en marche. Chaque école, chaque média, chaque collectif kabyle autonome est une pierre ajoutée à l’édifice d’une nation qui se reconstruit.
La Kabylie ne demande pas la permission d’exister. Elle s’organise pour être libre.
 
Stéphane ARRAMI 
 

Sites
  • https://kabyle.com/massinissa-khellili-deuxieme-detenu-kabyle-mort-en-detention-politique
  • https://kabyle.com/tags/prisonniers-dopinion-kabyles
  • https://kabyle.com/hicham-aboud-retrouve-par-la-police-espagnole-apres-son-enlevement-a-barcelone-quatre-suspects-arretes
  • https://kabyle.com/arrestation-de-lhumanitaire-kabyle-wafia-tedjani
  • https://kabyle.com/victoire-des-kabyles-la-justice-francaise-rejette-lextradition-daksel-bellabaci-vers-lalgerie
 




War Raok n° 74 - Automne 2025


09/11/2025

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24/04/2024

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