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Le monde des abeilles chez les Celtes


Rédigé le Jeudi 29 Août 2024 à 08:34 | Lu 107 commentaire(s)



in War Raok ! - n° 70 - Août 2024

Loin d’être anodins et négligeables, les animaux sont des acteurs et des porteurs d’un symbolisme récurrent et primordiaux dans les civilisations anciennes et (pré-)modernes. C’est pour cela que les études mythologiques ne sauraient exclure le rôle et la signification de ces êtres, accompagnateurs de l’homme. Comme l’expriment pertinemment Jean Chevalier et Alain Gheerbrant : 
« L’animal, en tant qu’archétype, représente les couches profondes de l’inconscient et de l’instinct. Les animaux sont des symboles des principes et des forces cosmiques, matérielles ou spirituelles. […] Le symbolisme des animaux, tels que l’homme les rencontre, les observe, chacun avec ses particularités, et les nomme, le renvoie à un phénomène infiniment plus vaste, puisqu’il englobe toute l’histoire humaine, et non un moment de notre propre civilisation. Il s’agit du totémisme qui, loin d’être en relation avec une certaine mentalité « primitive » ou avec une étude « archaïque » de société, atteste une tendance fondamentale et omniprésente de l’humanité ».  (Dictionnaire des symboles 1982).

Le bestiaire dans la tradition celtique médiévale a un objectif majeur, c’est-à-dire l’étude des animaux réels et mythiques pour eux-mêmes ; le bestiaire est le véhicule commun de l’expression symbolique dans la pensée et par conséquent dans le langage, dans les mythes et dans la culture des civilisations anciennes. Les Celtes ne sauraient être une exception. Il est important de savoir ce que sont devenus, chez les Celtes médiévaux, les animaux de culte, qui furent vénérés auparavant chez les Celtes de l’Antiquité.
Oublions un instant, l’ours, le loup, le cheval, le corbeau ou encore la chouette, ces animaux représentés habituellement dans la tradition celtique et intéressons-nous à l’abeille, petite créature fascinante, sentinelle de l’environnement et messagère de l’harmonie dans la nature.
 
Sagesse et immortalité de l’âme
 
Les abeilles, qui sont laborieuses, infatigables et quasiment innombrables, sont en quelque sorte proches des fourmis. Mais elles se distinguent de ces dernières par leurs ailes, leur bourdonnement, ainsi que par le miel qu'elles produisent. Leur habitat, la ruche, a encore augmenté leur importance et leur polysémie dans le monde des symboles. Plus haut, on a constaté que leur bourdonnement était apprécié chez les Celtes et qu'il y a un rapport symbolique entre la caisse de résonance de la harpe et la ruche des abeilles. Leur miel, dont on faisait l'hydromel qui était l'ambroisie, l'élixir des dieux, joue un rôle primordial dans maintes mythologies. Chez les Celtes, l'hydromel était la liqueur d'immortalité. Ceci explique pourquoi on lit dans les lois irlandaises que la production du miel était hautement surveillée. 
Bien évidemment, les abeilles sont en relation avec les fleurs. On comprend donc que leurs emblèmes incluent même le principe vital de l'univers. Selon les propos de Virgile, les abeilles détenaient une parcelle de la divine Intelligence. Hormis cette intelligence, les autres emblèmes comprennent aussi l'éloquence et la poésie. En Grèce et à Rome par exemple, elles matérialisent l'âme sortant du corps. Puisqu'elles hibernent pendant trois mois, période durant laquelle elles semblent disparaître, les abeilles symbolisent la résurrection, entre autre dans la tradition chrétienne.
On ne s’étonnera pas de voir que les abeilles ont été l’objet des plus grands éloges : « Depuis la jeunesse du monde, l’homme a partout regardé l’abeille comme l’un des plus excellents dons que Dieu ait faits à l’homme : les saints Inspirés et les Poètes l’ont chantée dans toutes les langues humaines, les méditatifs se sont extasiés sur sa sagesse, sur sa législation, sur son activité, sur la perfection de son industrie. Filles ailées des premiers soleils, annonciatrices bénies des premières journées sereines et des nuits parfumées, les abeilles ont toujours eu, dans l’esprit de l’homme des champs, l’estime la plus admirative qui puisse être, et c’est la raison pour laquelle cet insecte garde une si grande part dans le symbolisme et le traditionnisme populaire de tous les pays. L’importance de l’apiculture dans la société celtique médiévale est bien attestée. On retrouve la tradition apicole dans les lois (galloises et irlandaises) et dans maints toponymes, bretons, par exemple, gardant des traces du terme toull « trou (dans un arbre à abeilles)». L’élevage des abeilles et par conséquent la production de miel furent une affaire sérieuse au Moyen Âge.
 
L’importance de l’hydromel
 
En Bretagne également, l’apiculture est primordiale : la lande, c’est aussi le domaine de parcours privilégiés des abeilles, dont les essaims procurent à l’homme d’alors son unique ressource en sucre et, pour les moines, en cire : en 832 le premier abbé de Redon, Conwoion, se présente au palais de Tours avec une charge de cire qu’il espère offrir en cadeau à l’empereur Louis. Jean-Christophe Cassard nous explique qu’en Bretagne armoricaine la culture apicole date d’une époque très reculée, les redevances stipulées en miel en seraient les preuves. 
On connaît bien l’importance de l’hydromel – la « divine ambroisie » ou le « nectar rouge » chez les Grecs ; le miel y est en plus une métaphore pour l’éloquence. Chez les Celtes de l’Antiquité comme ceux du Moyen Âge, la place primordiale du miel est également bien assurée, que ce soit sous la forme de vin miellé, d’hydromel ou sous d’autres formes. Les textes littéraires par contre, sources et objets primordiaux de notre étude, ne contiennent pas une abondance de traditions relatives aux abeilles : en Irlande comme au Pays de Galles, l’abeille est censée être originaire du paradis céleste, apportant des connaissances secrètes ; le miel figure dans une liste d’attributs de la province de Munster.
On possède une trace remarquable de l’importance des abeilles et du produit qu’elles proposent ; les vocabulaires brittoniques et gaéliques nous offrent des termes signifiant « cire d’abeille » qui ont pris le sens de « parfait, accompli » : en gallois cwyraidd , un dérivé de cwyr « cire » et en irlandais moderne céir-bheach.
 
La harpe médiévale des Gaéls :  une ruche  !
 
Dans ce cadre, il faut mentionner le fait que les vocabulaires celtiques ont des mots pour désigner l’ivresse qui dérivent de la racine désignant miel, hydromel : le nom de la déesse Medb, reine de Cruachan, connue de la Táin Bó Cuailgne, la grande épopée irlandaise, porte un nom qui veut dire « ivre ». Comme nous l’avons mentionné supra, la caisse de résonance de la cláirseach, la harpe médiévale des Gaéls est symboliquement une ruche. Non seulement la caisse de résonance et la ruche partagent la même morphologie, la caisse est également associée à l’abeille car le son qu’elle produit n’est pas très dissemblable du bourdonnement du petit insecte. Au pays de Galles, les « harpeurs » jouaient sur des harpes avec des harpions, qui faisaient résonner les cordes. Le son « bourdonnant » obtenu fut comparé, dans un poème, à une abeille (Teilinn, mot gaélique qui pourrait bien être à l’origine du mot brittonique pour désigner la harpe : telyn en gallois, telenn en breton, termes pour lesquels on n’a pas pu proposer d’étymologie satisfaisante) bourdonnant dans la chaleur de l’été. Chez les auteurs classiques aussi, l’idée de l’abeille musicale existait, par exemple chez Elien.
 
Per Manac’h
 
Source : 
  • Bestiaire mythique, légendaire et merveilleux dans la tradition celtique : de la littérature orale à la littérature écrite : étude comparée de l’évolution du rôle et de la fonction des animaux dans les traditions écrites et orales ayant trait à la mythologie en Irlande, Écosse, Pays de Galles, Cornouailles et Bretagne à partir du Haut Moyen-Âge, appuyée sur les sources écrites, iconographiques et toreutiques chez les Celtes anciens continentaux.
  • Dimitri Nikolai Boekhoorn. Thèse de doctorat. (Université Rennes 2, Haute Bretagne, Universiy College Cork department of Early and Medieval Irish). 



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