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MOUEZH BREIZH, LA VOIX DE LA NATION BRETONNE

Pâques 1917, la Bretagne perd une de ses plus belles élites, Jean-Pierre Calloc’h.


Rédigé le Jeudi 16 Mai 2024 à 12:43 | Lu 10 commentaire(s)



IN WAR RAOK ! - N° 48 - Mai 2017

En ce début du XXème siècle, un nom va émerger et marquer notre littérature, Jean-Pierre Calloc’h. Originaire de l’île de Groix, il en sera l’écrivain et le poète, dont l’œuvre intense va lier son nom à l’île, par le chant « Me zo ganet e kreiz ar mor » qui en sera l’une des plus belles expressions.
Qui connait vraiment Jean-Pierre Calloc’h ? Quel bourg n’a pas dans ses lotissements une rue Jean-Pierre Calloc’h, mais cela ne suffit pas à prétendre connaître l’homme et son œuvre. Né en 1888, dans une famille de pêcheurs, il trouva la mort sur le front, alors qu’il se trouvait en première ligne, tué par un obus, le mardi de Pâques 1917, il n’avait que 29 ans. La Bretagne venait de perdre l’un de ses plus grands poètes, une élite prometteuse pour la cause bretonne.
C’est son ami, le Docteur Léon Palaux qui écrira le mieux sa vie si brève, et pourtant si riche culturellement et spirituellement. Jean-Pierre Calloc’h sera le barde de Dieu et de la Bretagne, toute son œuvre s’enracine dans la devise « Doue ha mem Bro » (Dieu et mon Pays) du chef chouan, morbihannais comme lui, Georges Cadoudal. Le Docteur Léon Palaux déclarera : « Je m’efforcerai de tracer son portrait fidèle, de le montrer tel qu’il fut, vrai Breton, vrai chrétien, vaillant soldat, n’ayant d’autre souci, nuit et jour, que le bien, la gloire et le progrès de la Bretagne ». René Bazin de l’Académie Française, dans son «Introduction» pour le recueil de  « Lais Bretons », plus connu par son titre « An Daoulin » (A genoux), découvrira et soulignera la puissance, l’étincelle de génie qui se dégage de l’ensemble de cette œuvre. Il n’est pas possible dans le cadre de cette courte évocation de citer des passages entiers de certains de ses « Lais » : des passages au souffle brûlant s’en détachent, et sont bien les résumés de sa pensée, de ce qu’il souhaite pour sa Bretagne. 
« Ma Race ! Mon Dieu, est devant Vous comme un menhir écroulé – Froide, muette, morte, mais Votre bras peut la relever ».
 « Nous avons gardé Votre flamme, Seigneur, ainsi gardez notre patrie. La Bretagne tombée, ce sera un cierge de moins dans Votre Eglise. Sur les rivages de l’Occident, un phare de moins pour les peuples qui viennent ». 
« Apprenez-moi, mon Dieu, les mots qui réveillent un peuple. Et j’irai, messager d’espérance, les répéter sur ma Bretagne endormie ».
Ces mots, Jean-Pierre Calloc’h saura admirablement les trouver, les écrire, les clamer.
Jean-Pierre Calloc’h s’adressant à Dieu, lui rappellera que les Bretons lui ont donné, ainsi qu’à sa Sainte Eglise les meilleurs de leurs fils, de leurs filles pour porter sa Sainte Doctrine (Evangile), porter sa Croix sur toute la terre : « Ainsi, puisque Vous avez enlevez à ma race ses meilleurs enfants, personne autre que Vous ne doit les remplacer par ici. Vous serez bien plus avancé quand il n’y aura plus de Bretagne ! ».
Jean-Pierre Calloc’h qui aspirait au sacerdoce, mais ne put réaliser ce rêve, se voudra néanmoins missionnaire pour Dieu et la Bretagne ; pour lui, comme pour l’abbé Perrot, les deux causes seront indissociables. 
Perig Géraud-Kéraod, le fondateur des Scouts et Guides Bleimor (1946), prendra précisément ce nom en référence à Jean-Pierre Calloc’h, dont c’était le pseudonyme pour son œuvre littéraire. L’idéal breton et chrétien du poète groisillon, sera avec celui de l’abbé Perrot « Feiz ha Breiz », ceux proposés à ce mouvement de jeunesse bretonne.

Jean-Pierre Calloc’h était-il autonomiste ?

Il serait très hasardeux de s’avancer avec assurance sur cette question. Une chose est sûre, il était, comme beaucoup à cette époque « régionaliste », qualification qui elle-même comportait beaucoup de nuances chez ceux qui s’en réclamaient. Ces régionalistes exigeaient du pouvoir centralisateur jacobin de Paris, la reconnaissance des droits historiques, culturels, linguistiques, voire parfois administratifs de la Bretagne. Cependant, cette élite bretonne s’interdisait d’aller sur le terrain politique, ce qui diminuait considérablement la portée de leurs revendications, mais c’était avant la guerre de 14/18. Après la guerre, devant l’ingratitude de la France pour le sacrifice des 240.000 Bretons sur les fronts, devant la reprise de la guerre faite à la langue, aux traditions bretonnes et la négation des droits de la Bretagne, beaucoup de ces régionalistes vont glisser vers l’autonomisme, le séparatisme, d’autant que ces années d’après-guerre voient surgir des mouvements comme le Parti National Breton (P.N.B) s’affichant délibérément séparatistes. Jean-Pierre Calloc’h étant mort, il est donc difficile de prétendre vers quelle « sensibilité » il aurait glissé. Pourtant, ses écrits laissent supposer qu’il ne se serait pas contenté d’un aimable régionalisme culturel, d’activités archéologiques d’histoire et de bonnes assemblées de notables, d’être en somme le chantre d’une Bretagne de folklore au passé glorieux, mais qui n’était plus. N’oublions pas qu’il sera, comme ses amis, dont l’abbé Perrot, témoins des persécutions religieuses, culturelles et linguistiques des anticléricaux, des Hussards noirs de la république, des francs-maçons, toute une engeance qu’il exécrait viscéralement, et qui vont le pousser à une profonde révolte. Il le criera, l’écrira : « cette pourriture maçonnique, parisienne qui empoisonne la Bretagne et qu’il convient de chasser par tous les moyens ».

Si nous nous reportons à ses écrits sur son patriotisme breton, qu’il nous est impossible de citer tous ici, Jean-Pierre Calloc’h nous déroute parfois par leurs contradictions avec ses protestations de patriotisme français, mais un patriotisme français qui déjà subissait une sérieuse érosion et le poussait à s’interroger sur ce sentiment.

Il affirme que « La Bretagne est un vaisseau à côté d’un autre plus grand, la France », laissant entendre son attachement au cadre de l’Etat français. Qu’il « accepte, non pas avec amour et reconnaissance toujours, mais avec une loyauté fidèle et sans arrière-pensée ». Mais, comme en contradiction avec ces professions de fidélité, il n’hésite pas à brandir la menace d’un séparatisme :

« Le séparatisme s’explique surtout chez les Bretons catholiques sur qui agit en plus d’indignations purement patriotiques très motivées, l’écœurement de subir le contact journalier d’une nation apostat, la tyrannie d’une nation persécutrice des croyances ancestrales ».

« Nous voulons bâtir le foyer breton qui nous manque. Si ce n’est pas avec l’Etat français, ce sera contre lui. Cela dépend de son attitude uniquement. Même pour l’honneur de nous appeler Français, nous ne pouvons accepter que la Bretagne meure. L’unité française, nous en voulons bien, mais qu’on ne nous force pas à choisir entre elle et le salut de l’âme bretonne ».

Il exprime encore sa lassitude de voir « Sa race souillée sous les pieds des valets », ou encore son indignation qui s’élève contre « Les institutions et les mœurs d’une France en décrépitude, Paris la capitale pourrie, corruptrice de l’âme des Celtes ». Il n'hésite pas « à opposer la culture celto-catholique comme une muraille à l’envahissement mortel du byzantisme français ». C’est précisément cette prise de conscience de l’élite bretonne civile et religieuse de cette époque, qui se rend compte que la meilleure façon de s’opposer aux influences néfastes, corruptrices de Paris et de ses idéologues est la fidélité sans concessions à l’identité même de la Bretagne. Les années d’après- guerre, 1920-1945 ne seront à ce titre qu’une longue suite de combats auxquels, nous pouvons en être certains, Jean-Pierre Calloc’h en aurait été une des meilleures têtes …

Tous ces écrits, véritables cris de douleurs d’un cœur, d’une âme, écorchés vifs, sont d’avant-guerre, époque où justement la France maçonnique, anticléricale, plus jacobine que jamais redoublait ses persécutions envers les Bretons, l’Eglise. Nous pouvons donc imaginer quels auraient été ses cris de douleurs après cette guerre dans laquelle tant de Bretons auront laissés leur vie « Morts pour la France ». Mais, comme beaucoup de Bretons patriotes, il était persuadé que la France serait reconnaissante :

« La Bretagne d’après-guerre, fécondée par le sang et les larmes, ne sera pas tout à fait la même qu’avant »,

 et d’ajouter :

« Il faudra crier fort, hurler, rugir ... Agitation non pas d’un jour, ni d’une semaine, mais sans limite dans le temps ». 

Nous avons là le ton, l’engagement qui aurait été le sien après cette guerre. 

La paix revenue, la Bretagne n’est plus reconnaissable, elle a terriblement changé, elle s’est en cinq ans francisée, c’est une société bouleversée en tous points. Jean-Pierre Calloc’h, tué au front « Si je suis tué, vous direz que je suis mort en Breton » ne verra donc pas cette Bretagne dénaturée. Mais bien d’autres, dont l’abbé Perrot, au retour du front, vont faire le même constat. La Bretagne qu’ils retrouvent n’est plus du tout la même, c’est une Bretagne française qui est en train de naître, et qui jette à bas, avec une certaine délectation, sa propre identité bretonne pour ne plus que se dire française par le sang versé.

Une chose est certaine, sa mort « pour la France » a privé les Bretons d’une remarquable élite bretonne comme la Bretagne savait à cette époque enfanter. Une élite, civile et religieuse qui, après cette guerre, consciente de l’urgence de sauver la langue, la culture, les traditions et la foi de la Bretagne, va à divers titres, s’impliquer dans les combats nationalistes. Certains historiens, s’appuyant sur son anti-germanisme très perceptible dans An Daoulin, et qui était dans l’air du temps, vont affirmer que Jean-Pierre Calloc’h n’aurait pas hésité à entrer dans la Résistance gaulliste. Est-ce si sûr ? Nous pensons qu’il aurait été dans la ligne de l’abbé Perrot qui se gardera, sachant parfaitement qu’il n’y avait plus rien à attendre de la France, d’aller se fourvoyer dans la Résistance. Une aventure française dans laquelle la Bretagne avait tout à perdre, et c’est bien ce qui arriva. Les lendemains de la guerre de 1939-1940 furent, à l’image des lendemains de celle de 1914-1918, une succession de chants funèbres pour la Bretagne bretonne.

 

Youenn Caouissin.  




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